Avis d’expert – Rencontre avec
Sébastien Archi de Prism’emploi
CATÉGORIE : Marché de l’emploi | 24 JUILLET 2023
Sébastien Archi est diplômé d’un DEA en macro-économie. C’est aux laboratoires UPSA qu’il débute sa carrière en tant que Business Analyst, puis Analyste au sein du cabinet de conseil Boston Consulting Group.
M. Archi : Dans le monde de l’intérim depuis une quinzaine d’années, Sébastien Archi intègre Prism’emploi comme chargé d’études économiques et est actuellement directeur des affaires économiques. Son expérience participe à la compréhension des enjeux économiques liés au secteur de l’intérim et c’est dans ce sens que nous avons sollicité un entretien pour obtenir son avis d’expert sur un secteur en constante évolution.
Sommaire
L’intérim : un tremplin vers l’emploi
et un moteur économique solide
Au cours des 25 dernières années, le monde de l’intérim a connu une évolution majeure. Les agences d’emploi jouent un rôle social et économique désormais reconnu, en misant sur la proximité avec les candidats et les entreprises. Ce rôle d’intermédiaire est apprécié des candidats, qui bénéficient d’un accompagnement et de facilités d’accès à la formation. En effet, chaque année, plus de 380 000 parcours de la formation sont financés par les fonds de la branche du travail temporaire.
Aujourd’hui, plus de 80% des personnes se tournant vers le travail temporaire sont en dehors du marché du travail. C’est une opportunité pour elles de renouer avec le marché de l’emploi grâce aux contrats courts qui favorisent une insertion progressive. Selon une enquête annuelle portant sur les parcours des intérimaires, près de 70% d’entre eux sont en emploi un an après leur entrée dans l’intérim.
L’importance économique de l’intérim est également établie. Les entreprises ont un besoin croissant de flexibilité pour répondre aux attentes des consommateurs, aux fluctuations des carnets de commandes et à la concurrence internationale. L’intérim leur permet de réaliser des gains de productivité en s’adaptant en temps réel à leurs contraintes de production.
Au fil des 30 dernières années, un statut social avantageux a été co-construit avec les organisations syndicales de salariés pour protéger les salariés intérimaires en France. Ils bénéficient de droits à la formation ainsi que de droits sociaux spécifiques en matière de mutuelle et de prévoyance. De nombreux accords ont été négociés avec les partenaires sociaux pour développer une flexibilité responsable répondant aux besoins des entreprises.
L’investissement massif dans la formation est une priorité du secteur de l’intérim en France. Alors que l’obligation légale de financement de la formation est de 1% de la masse salariale, le travail temporaire y consacre 2,7%. Des dispositifs tels que le Fonds d’Action Sociale du Travail Temporaire (FASTT) fournissent des solutions aux candidats, comme l’aide à la location immobilière, à la location de véhicules et à la garde d’enfants, pour faciliter leur participation aux missions.
L’intérim : un rôle social et économique méconnu qui mérite d’être explicité
Il est important de sortir de l’idée fausse selon laquelle l’intérim se substituerait à des contrats à durée indéterminée (CDI). La place de l’intérim est restée stable en France au cours des 25 dernières années avec environ 3% de l’emploi salarié. L’intérim répond à un besoin de flexibilité et nous considérons qu’il est préférable de passer par une agence d’intérim que par un CDD. L’intérimaire bénéficie d’un soutien dans sa recherche d’emploi quand une personne en CDD se retrouve seule à la fin de sa mission. Les agences d’emploi jouent un rôle d’accompagnement des parcours professionnels des salariés intérimaires.
Il est essentiel de montrer la valeur ajoutée du travail temporaire : les agences d’emploi aident les individus à trouver du travail et permettent aux entreprises de trouver les compétences recherchées, dans un cadre socialement responsable. Pour ce faire, Prism’emploi développe une approche pragmatique, basée sur des faits objectifs et incontestables.
Le CDI intérimaire, une option pour
les jeunes débutants en quête de stabilité
Depuis sa mise en place en 2014, le CDI intérimaire a trouvé sa place en France. Cette forme d’emploi, initialement pensée pour les intérimaires expérimentés à la recherche de stabilité, a finalement attiré un autre public. Les travailleurs expérimentés préfèrent souvent rester dans le statut d’intérimaire, bénéficiant notamment d’une indemnité de fin de contrat, ainsi que de la possibilité de choisir leurs périodes d’emploi.
En réalité, ce sont les jeunes débutants qui ont montré le plus d’intérêt pour le CDII. Pour eux, avoir un contrat stable, tel qu’un CDI, facilite la vie quotidienne en termes de crédit bancaire ou de location immobilière.
Malgré la signature de nombreux contrats de CDI intérimaire, le volume de cette forme d’emploi s’est stabilisé autour de 55 000 équivalents temps pleins. Cela s’explique par le fait que de nombreuses personnes utilisent le CDI intérimaire comme tremplin vers une embauche directe dans l’entreprise utilisatrice. Une enquête de l’OIR (Observatoire de l’Intérim et du Recrutement) révèle que 70% des personnes qui quittent le CDII le font pour travailler directement dans l’entreprise. Ainsi, malgré le flux important de personnes passant par le CDI intérimaire, le nombre de CDII est resté stable.
Prism’emploi ouvert aux projets concrets pour développer l’emploi de qualité
Prism’emploi est très attaché au dialogue social. Il est également favorable aux expérimentations visant à explorer de nouvelles pistes dans le domaine de l’emploi. Être un laboratoire d’innovation sociale est dans notre ADN et nous essayons d’être force de proposition. Il nous parait pertinent de tester des dispositifs pendant 1 ou 2 ans, en prenant des engagements chiffrés et en nous donnant les moyens de les mesurer. Cette approche pragmatique permet d’évaluer l’impact d’une évolution réglementaire. C’est de cette manière que nous avons procédé avec le CDII et nous restons force de proposition auprès des pouvoirs publics.
L’intérim, un levier pour l’emploi
des travailleurs qualifiés et des seniors
Le profil des intérimaires a significativement évolué au cours des 20 dernières années. Autrefois dominé par les ouvriers non qualifiés, l’intérim est aujourd’hui principalement composé d’ouvriers qualifiés, ainsi que d’employés et de cadres. Les ouvriers non qualifiés représentent désormais environ 35% des effectifs, contre plus de 50% auparavant.
L’intérim s’avère très opérationnel dans la conjoncture actuelle, marquée par des pénuries de personnel. En effet, l’intérim est un moyen de développer des compétences en prenant en charge des personnes éloignées du marché du travail et en les préparant aux besoins du marché. Contrairement à une idée reçue, l’intérim se développe lorsque l’emploi est en expansion, et souffre lorsque le chômage augmente.
Les agences d’emploi temporaire proposent un accompagnement personnalisé et maîtrisent toute la chaîne de valeur des ressources humaines, de l’accompagnement des candidats à la formation jusqu’au recrutement. Les deux catégories de candidats qui rencontrent des difficultés d’employabilité en France sont les jeunes peu qualifiés et les seniors de plus de 55 ans. Pour le gouvernement, l’enjeu est d’insérer les jeunes sur le marché du travail et d’augmenter le taux d’emploi des seniors, en éliminant les préjugés et en favorisant un changement de comportement des entreprises à leur égard.
L’intérim peut jouer un rôle de facilitateur, car les entreprises font confiance aux agences d’emploi temporaire pour identifier les compétences, ce qui peut ouvrir la voie à l’embauche de seniors. De plus, la rémunération en intérim est fondée sur l’égalité de traitement.
Dans ce contexte, le CDII offre une option sécurisée pour les seniors. Il permet de répondre à leurs préoccupations afin de prolonger leur activité. C’est pourquoi Prism’emploi suggère de mettre en place un soutien spécifique à l’emploi des seniors dans le cadre du CDI intérimaire. Cela se matérialiserait par une aide financière, associée à la garantie d’un CDII. Pour Prism’emploi, cet investissement serait avantageux pour les pouvoirs publics, car il se substituerait aux minima sociaux et générerait des cotisations sociales. À ce titre, nous estimons qu’1 euro investi générerait 4 euros de retour sur investissement.
Le délai de carence :
un obstacle contre-productif à l’emploi intérimaire
Le délai de carence, dispositif en vigueur depuis les années 80, suscite depuis longtemps des débats. Ce dispositif impose une période d’inactivité d’un tiers de la durée de la mission après deux renouvellements de contrat sur le même poste. À l’origine, cette règlementation avait pour objectif d’éviter la substitution des emplois durables par des contrats courts. Cependant, il s’avère aujourd’hui totalement contreproductif.
De nombreuses entreprises, notamment dans l’industrie, éprouvent des difficultés à renouveler des contrats de travail temporaire en raison de l’absence de visibilité sur leurs carnets de commandes à long terme. Elles peuvent avoir des commandes confirmées pour les 15 prochains jours, mais ne sont pas en mesure de prévoir l’avenir à plus long terme. Ces entreprises souhaiteraient parfois renouveler des contrats auprès de salariés ayant fait leur preuve, mais elles se heurtent au délai de carence. Ainsi, les travailleurs temporaires sont contraints de s’inscrire au chômage, alors même que l’entreprise souhaiterait continuer à travailler avec eux en raison de la demande et des compétences développées.
Prism’emploi plaide en faveur de l’aménagement du délai de carence. Nous souhaitons abandonner ce principe tout en maintenant la durée maximale d’emploi temporaire actuelle. Autrement dit, un intérimaire, dans le cadre de la durée maximale en intérim, serait libre de renouveler son contrat.
Le numérique :
un outil essentiel pour les agences d’emploi
Le numérique occupe aujourd’hui une place importante dans le fonctionnement des agences d’emploi. Nombre d’entre elles adoptent une approche dite « phygitale », combinant une agence physique avec des outils de dématérialisation. Cette transition digitale offre des gains de productivité considérables dans la relation avec les intérimaires et les clients.
Grâce à la dématérialisation, les agences peuvent accélérer les échanges avec les intérimaires et les clients, notamment sur le volet administratif. Cette digitalisation permet également de répondre aux besoins des candidats jeunes qui préfèrent souvent utiliser leur smartphone plutôt que de répondre à une annonce. Cependant, il est essentiel que les agences conservent un réseau physique, car de nombreux candidats ont besoin ou souhaitent un accompagnement personnalisé.
Le contact humain reste irremplaçable pour instaurer la confiance, écouter attentivement les attentes et besoins des candidats, orienter un parcours professionnel, réussir un recrutement. Le cœur du métier des agences d’emploi reste celui des ressources humaines.
L’Intelligence Artificielle (IA) dans le travail temporaire : une complémentarité et une évolution des compétences
Dans les pays avancés, l’IA devient progressivement une réalité quotidienne et naturellement elle sera amenée à jouer un rôle croissant dans le travail temporaire. Elle influencera à la fois l’évolution des métiers des intérimaires et aussi les processus de recrutement mis en œuvre par les salariés des agences.
Grâce à la dématérialisation, les agences peuvent accélérer les échanges avec les intérimaires et les clients, notamment sur le volet administratif. Cette digitalisation permet également de répondre aux besoins des candidats jeunes qui préfèrent souvent utiliser leur smartphone plutôt que de répondre à une annonce. Cependant, il est essentiel que les agences conservent un réseau physique, car de nombreux candidats ont besoin ou souhaitent un accompagnement personnalisé.
Les outils d’IA joueront aussi un rôle essentiel dans les processus de recrutement. En effet, les salariés des agences pourront s’appuyer sur de nouveaux outils d’aide à la décision qui leur simplifieront la tâche. Dans le même temps, elles joueront un rôle crucial dans la clarification des termes, des usages et la sécurisation de l’utilisation de ces outils. Elles devront connaitre les normes et les règlementations en vigueur et veiller à leur application stricte pour éviter les discriminations ou les biais de recrutement. Le risque avec les outils d’IA, c’est l’accentuation de la standardisation des choix. En effet, les algorithmes sont programmés pour reproduire à l’identique les expériences réussies du passé. Il est essentiel de prévoir des garde-fous pour se prémunir du « clonage » de recrutements, qui ne seraient que basés sur les profils précédents. Dans ce cadre, les agences d’emploi joueront un rôle central pour favoriser la mobilité sociale et pour trouver des talents en dehors des sentiers battus. C’est une exigence sociétale, mais c’est aussi un besoin économique. Le vieillissement de la population et l’accentuation des pénuries de compétences anticipées à l’horizon 2030 rendent indispensable l’expertise humaine.
Bien que l’IA puisse faciliter le travail quotidien d’un recruteur, il est important de souligner que les métiers des ressources humaines restent centrés sur l’humain. De simples tâches répétitives seront assurées par l’IA, mais le recrutement complexe reste un travail méticuleux qui nécessite la subtilité et la psychologie d’un spécialiste des ressources humaines. Les recruteurs ont donc encore de belles perspectives, car ils sont les seuls capables d’organiser l’ingénierie allant d’un besoin, à une compétence en passant par la formation dans un contexte où la ressource humaine est appelée à se raréfier.
Les pénuries de compétences :
conversion et identification
Les entreprises font face à des défis majeurs, notamment les pénuries de compétences qui se sont amplifiées depuis la crise Covid. Dans cette optique, certains outils innovants peuvent faciliter la recherche des profils adaptés.
Parmi les autres préoccupations du moment, le retournement de l’emploi dans certains secteurs d’activité. Les domaines liés à la consommation des ménages, tels que le commerce et la logistique, connaissent une dégradation depuis quelques mois. Les entreprises exposées à ces secteurs doivent donc trouver de nouvelles sources d’activité. Dans ce contexte, le transfert de compétences joue un rôle essentiel en permettant de réorienter les actifs vers des métiers en demande.
Plus que jamais, le rôle de la formation est décisif pour faire évoluer les compétences afin de répondre aux besoins changeants du marché du travail. Il est indispensable pour les agences d’emploi d’organiser cet appariement et leur connaissance de l’évolution du marché du travail et des compétences est un atout pour permettre aux intérimaires de s’adapter aux nouvelles réalités professionnelles.
Amaury Sorin
Auteur
Amaury Sorin, Head of Business Development France chez index Advertsdata, mène une mission passionnante : développer Advertsdata sur le marché français. Avec une solide expérience en commerce, développement, data et marché de l’emploi, il se consacre à mieux comprendre les besoins, renforcer les partenariats et améliorer le produit et l’optimisation de son utilisation.
Crédit image : unsplash.com / cowomen; pixabay.com/Michal Jarmoluk; iStock/SeventyFour